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14 juin 2011 2 14 /06 /juin /2011 14:41
Chine, de Mao à Jésus : la vague protestante

De plus en plus nombreux, les protestants font peur au régime. Ils sont médecins, avocats, professeurs, parfois membres du Parti. Ils comptent dans leurs rangs de nombreux défenseurs des droits de l'homme. Chaque semaine, la police chinoise arrête par dizaines les fidèles de Shouwang, la plus emblématique des « églises indépendantes ». Mais pour leur foi, ils sont prêts au martyre.


Voici presque deux mois qu'on les voit arriver chaque dimanche à 8h30 tapantes, sur cette vaste place peu accueillante du quartier des universités à Pékin, avec sur le visage une curieuse expression d'hésitation et d'audace. Jeunes filles frêles en jeans et queue de cheval, couples de quadras bien mis, messieurs distingués ayant l'air de profs à la retraite, etc. A peine font-ils mine de se regrouper que des policiers en tenue anti-emeute se précipitent sur eux. Ils se laissent alors embarquer sans opposer de résistance. Dans le bus qui les emmène au poste, ils ouvrent leur missel et entonnent en chœur des cantiques.

Shouwang arrestations.jpg

Arrestation de fidèles de Shouwang

Ces individus qui défient chaque semaine l'impressionnant déploiement de sécurité, sont des protestants appartenant à Shouwang, la plus importante, la plus emblématique des églises dites « domestiques » de Pékin. Farouchement indépendants, refusant de se laisser absorber par l'église officielle, appelée aussi « patriotique », entièrement sous la coupe du gouvernement, ces groupes autonomes de convertis se réunissent chez les uns ou les autres ou dans une banale salle de réunion louée pour l'occasion. Ils élisent leur pasteur, ainsi que le petit comité d'« anciens » chargés de diriger l'église, et se consacrent avec ferveur à la vie de leur communauté. « Nous n'avons pas d'arrière-pensée politique, nous ne sommes pas opposés au gouvernement, affirmait récemment un responsable de Shouwang aujourd'hui assigné à domicile et impossible à approcher. Nous ne voulons qu'une chose : vivre librement notre foi en compagnie de nos frères et de nos sœurs ».


 

Pourquoi alors les autorités s'acharnent-elles sur Shouwang ? Chaque semaine, plusieurs dizaines de fidèles sont emenés. Depuis le début du mouvement de protestation, plus de 300 d'entre eux ont été questionnés par la police, pressurés pour signer un désaveu de leur guide spirituel, avant d'être en général relâchés. Six responsables sont en revanche en résidence surveillée depuis le début des incidents il y a sept semaines, et le bruit court qu'ils seront bientôt jetés en prison. Selon Bob Fu, responsable de l'ONG américaine ChinaAid qui suit de près le sort des chrétiens de Chine, Pékin a toujours vu d'un très mauvais œil l'émergence de quelque groupe organisé que ce soit.


 

Jin Tianming.jpgFondé en 1993 par le charismatique pasteur Jin Tianming, à l'époque jeune ingénieur chimiste diplômé de la prestigieuse université Tsinghua, Shouwang a vu le nombre de ses fidèles passer de 10 à 1000 personnes en 15 ans. Résultat : l'église n'a cessé de subir le harcèlement des autorités, qui l'ont contrainte à déménager une vingtaine de fois, « Deux autres raisons se sont ajoutées à date récente, précise Bob Fu. D'abord le fait que Shouwang ait préparé l'envoi de 200 délégués venus de toute la Chine à la conférence internationale du mouvement évangélique qui devait se tenir en Afrique du Sud. » Alarmées par cette capacité de coordination et cette volonté d'apparaître comme les représentantes légitimes du protestantisme chinois, les autorités ont empêché tous les délégués à se rendre au Cap. « Là-dessus, les révolutions du jasmin ont éclaté. Craignant la contagion, Pékin a décidé de casser Shouwang ».


 

En 2010, les fidèles avaient recueilli assez de dons pour acheter pour 6 millions de dollars tout un étage d'un building dans le quartier des universités. Mais la vente a été annulée sous la pression des autorités et Shouwang a dû se rabattre sur une grande salle de réunion louée dans un restaurant branché. Au bout de quelques mois, le bail est à son tour dénoncé, pour les même raisons, et la voilà de nouveau à la rue. « Ils veulent nous obliger à nous fractionner, ou mieux : à nous dissoudre au profit de l'église patriotique, affirme une fidèle d'un ton scandalisé. Nous ne l'accepterons jamais. Nous ne nous sommes pas tournés vers le Seigneur pour nous retrouver avec des soi-disant pasteurs qui sont en fait des fonctionnaires aux ordres des athées du PC ! »


 

Avec ses quarante groupes de lecture biblique, sa chorale, son catéchisme, ses fidèles tous issus de la nouvelle bourgeoisie - professeurs, médecins, avocats, étudiants, voire membres du parti -, et les dizaines de nouveaux convertis amenés chaque mois par ses adeptes, Shouwang (« vigie », en chinois) est aux yeux du régime le symbole le plus redoutable de la nouvelle vague de conversions qui balaie la Chine. Urbaine, éduquée, aisée, dégoûtée des ressucées « rouges » servies par la télévision, revenue même du culte de la consommation, la nouvelle classe privilégiée tentée par le message du crucifié risque d'entrer en dissidence morale contre un pouvoir désormais perçu comme dénué d'âme.


 

Shouwang chorale.jpg
Chorale de Shouwang

Les chiffres sont révélateurs. En 2006, 31% des Chinois interrogés par un institut de sondage pratiquaient une religion, soit trois fois plus que les statistiques officielles. Sur ce total stupéfiant de trois cent millions de croyants, deux tiers se réclament de doctrines traditionnelles, comme le bouddhisme ou le taoïsme. Le dernier tiers, soit cent millions de personnes, correspond à l'avancée vertigineuse du christianisme. Un rapport confidentiel qui a fuité la même année porte même ce total à 130 millions, dont les quatre cinquièmes seraient protestants. Comparés aux 5 millions de chrétiens répertoriés au moment où Mao prend le pouvoir en 1949, les chiffres ont été multipliés par 20 ou 25 en 60 ans. Avec 7 à 10% de la population, le christianisme représenterait donc la deuxième religion chinoise !


 

Quelle revanche après les décennies de persécution sanglante infligées sous Mao à cette doctrine « étrangère » accusée d'être au service de l'impérialisme capitaliste. Le christianisme s'est désormais acclimaté, et n'apparaît plus tant comme une étrange croyance venue d'ailleurs. Pour les millions de nouveaux adeptes, la Chine sera chrétienne d'ici deux ou trois décennies.


 

« Je pense que le christianisme deviendra la religion principale, pas la seule », tempère le juriste et historien Fan Yafeng, un des penseurs principaux du mouvement de conversion, aujourd'hui soumis à une lourde surveillance. Dans une interview récente, il nous expliquait que le PC, en éradiquant les religions autochtones, avait involontairement ouvert la voie à la conversion des élites. « Mais n'oublions pas que ce sont les paysans, jadis évangélisés par des pasteurs étrangers, qui ont su garder la flamme malgré une terrible répression. Ils sont devenus missionnaires à leur tour dès que ça a été possible. Dans les années 80, ils ont réussi à convertir jusqu'à 80% des habitants de certains districts du Henan et du Zhejiang ».


 

C'est sur ce terreau très vivant que les intellectuels en quête d'âme ont pu s'appuyer. Mais en bons mandarins, méfiants vis à vis d'une dévotion trop émotionnelle, ils se sont tournés d'abord vers les sources théoriques, traduisant à tour de bras Saint Augustin ou Calvin. Ils ont fini par porter leur choix sur la doctrine du grand réformateur genevois. « C'est celui qui nous permet le mieux de comprendre les rapports entre la foi individuelle et la société », explique Yu Jie, autre penseur protestant et opposant connu. « Nous sommes pour une séparation nette entre la religion et la politique, mais sans renoncer à la force du lien avec Dieu. Comment vivre pleinement sa foi au sein de sa famille, dans sa profession, et dans la société ? Calvin a beaucoup réfléchi à ces questions, et c'est lui qui nous guide aujourd'hui ».


 

C'est en tout cas un certain christianisme engagé que ces intellos ont acclimaté à la Chine. L'important mouvement de défense des droits civiques qui joue depuis quelques années un rôle central dans l'émergence de la société civile en est partiellement issu. Ce n'est pas un hasard si la moitié des avocats qui se battent courageusement pour défendre les victimes des innombrables abus sont des convertis de fraîche date. C'est dans la notion d'amour, absente de l'héritage philosophique traditionnel, qu'ils puisent l'énergie et l'idéal de leur action. « Nous voulons offrir à cette société malade de haine un modèle d'évolution fondé sur l'amour et le pardon », affirme Yu Jie. C'est aussi ce dont sont fermement convaincus les fidèles de Shouwang, et ce pour quoi ils ont prêts à aller au martyre.


 

Alarmées par l'aggravation de la crise, une vingtaine d'églises domestiques de différentes provinces viennent de se solidariser publiquement avec leurs frères pékinois. Dans une audacieuse lettre ouverte adressée à l'Assemblée nationale populaire, leurs pasteurs dénoncent la répression contre Shouwang et demandent la légalisation de toutes les églises domestiques. Un remarquable acte de fraternité chrétienne. Et pour Pékin la preuve que la subversion protestante est bien en marche.


 


 

Les convertis de Tian'anmen


Le mouvement de conversion des intellectuels chinois a commencé hors de Chine. Ce sont en effet les vaincus de Tian'anmen, qui ont été les premiers à se tourner en masse vers le christianisme après avoir trouvé refuge en Europe ou aux Etats-Unis. Ebranlés par le massacre auquel ils venaient d'assister, rongés de culpabilité, déracinés, désenchantés, ils sont nombreux à avoir trouvé un sens et une consolation dans la doctrine du Christ.

 

Yuan Zhiming.jpg

Yuan Zhiming

Le récit le plus poignant de cette mutation a été donné par Yuan Zhiming, un des intellectuels les plus en vue du mouvement de Tian'anmen, dont les sermons, regroupés sur un DVD intitulé « Pourquoi je crois en Jésus », font un tabac en Chine. Sur les 21 leaders les plus recherchés en 1989, un bon tiers s'est converti au protestantisme. Plusieurs sont même devenus pasteurs d'importantes communautéschinoises d'outremer. Leurs revues, envoyées en Chine sous forme de fichiers informatiques et réimprimées sur place, font les délices des néophytes. Leurs théologiens viennent discrètement donner des sessions de formation aux futurs pasteurs. Leurs finances permettent de soutenir les activités de propagation de la foi, et de secourir les victimes de la répression. Les proscrits de Tiananmen n'ont pas renoncé à transformer la Chine, mais cette fois, c'est son âme qu'ils veulent sauver.

 

 

 

 
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